« La
photo du petit Aylan déclenche une prise de conscience européenne », lit-on ces jours-ci dans toute
la presse. Quelle horreur : c’est la photo qui déclenche les consciences,
pas Aylan lui-même ! Et quelle hypocrisie : des Aylan, il y en a déjà
eu des milliers en Méditerranée depuis deux ans. Pourquoi les photos de la
grande Aïcha, du gros Bechir ou du vieil Anouar n’ont-elles rien déclenché du
tout ? Qu’est-ce qui justifie cette inégalité entre les victimes ?
Rien. Et d’ailleurs, ce n’est même pas une inégalité entre les victimes, c’est
une inégalité entre les photos !
Et puis
une prise de conscience de quoi ? Du fait qu’il est dangereux d’emmener
ses enfants sur un petit bateau surchargé sans leur faire enfiler un gilet de
sauvetage ? Du laxisme des gardes-côtes turcs qui laissent des foules
s’embarquer en toute insécurité sur des barcasses ? De la nécessité d’organiser des ponts
aériens un peu partout pour amener à Paris sans risque tous ceux qui veulent
s’y installer ? Car si Aylan venait d’une zone de guerre, bien d’autres
enfants migrants viennent simplement de zones pauvres. En quoi leur noyade
serait-elle moins tragique que celle d’Aylan ?
Le vrai
danger pour les migrants est le mirage que nous leur avons présenté depuis des
dizaines d’années. Sans cet eldorado imaginaire (on regarde mais on touche pas : la générosité ne s'use que si l'on s'en sert), il n’y aurait pas de petit
Aylan. Nous agitons les bras, désolés, devant un spectacle tragique auquel nous
ne savons que faire. C’est que nous tentons de comprendre le monde
d’aujourd’hui avec nos valeurs, nos préjugés et nos illusions de vieux baby-boomers.
Nous sommes directement coupables des maux que nous léguons à nos enfants,
mais nous sommes aussi, indirectement, un peu complices des abominations infligées
aux enfants migrants.
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