Le titre
de ce blog et du livre qui va avec (Ils
viendront cracher sur nos tombes, Paris,
Chapitre.com, 2015) doit évidemment quelque chose à J’irai
cracher sur vos tombes, le polar publié en 1946 sous la signature de Vernon
Sullivan, alias Boris Vian. Il y a là plus qu’un simple jeu de titres. Les
failles éducatives qui ont fait de nous, baby-boomers, une génération
irresponsable ne sont nulle part aussi visibles que chez Boris Vian.
Le
narrateur de J’irai cracher sur nos tombes, Lee Anderson, est un blond à
la peau claire, mais il se considère comme un noir parce qu’il a un huitième de
sang noir. Il a quitté une ville du Sud américain où son jeune frère a été
lynché pour avoir fréquenté une blanche. Il ne vit que pour le venger et
assassinera dans des conditions atroces les deux plus jolies blanches qu’il ait
pu trouver, Jean et Lou Asquith. Mauvaise conscience, racisme à l’envers, haine
de soi et des autres, identité mal assurée : les thèmes sociaux qui empoisonnent
le début du 21e siècle et qui auront taraudé une partie de notre génération
étaient en germe dans ce livre que beaucoup de nos parents ont lu (J’irai
cracher sur vos tombes a été un grand succès de librairie en 1947).
Comme
l’immense majorité d’entre eux, Boris Vian avait quelque chose à se faire
pardonner. À 22 ans, à la fin de ses études d’ingénieur, il était entré à
l’Afnor à peu près au moment où le régime de Vichy la déclarait d’utilité
publique. Tandis que les tout meilleurs de sa génération s’engageaient dans la
Résistance, il consacrait ses loisirs à jouer du jazz dans les caves de
Saint-Germain-des-Prés. Le Déserteur pourrait bien être une tentative
d’exorcisme de ses remords ! Boris Vian n’a pas montré plus de courage
lors des poursuites contre J’irai cracher sur vos tombes ; il s’est
même empressé de bricoler un « manuscrit original » en anglais pour
accréditer l’existence d’un vrai Vernon Sullivan qui n’aurait pas été son
pseudonyme.
Boris
Vian est mort en 1959 avant que notre génération ne puisse apprécier ses
nombreux ouvrages. Mais nous l’avons amplement redécouvert quand nous avons été
en âge : L’Écume des jours, L’Arrache-cœur, L’Herbe rouge sont
devenus des best-sellers à retardement dans les années 1960 et 1970. Nous y
avons trouvé une petite musique qui nous parlait, un écho de notre enfance,
nous nous y sommes reconnus. Qu’on les relise aujourd’hui : ces œuvres
attachantes racontaient en fait un monde à la dérive, prisonnier de ses
illusions, aussi brisé que le vase de Sully Prudhomme, notre monde à nous. J’irai
cracher sur vos tombes finit mal. Nous aussi.
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